Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/315

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cru attendrir sa souffrance en se plaignant. Il était resté couché sur le côté, comme il était tombé, et quand, avec effort, il soulevait sa tête lourde, un sanglot sans larmes lui montait du cœur.

La douleur l’avait engourdi et il ne sentait plus ses membres ni sa tête, il ne sentait que sa blessure, la plaie profonde qui lui fouillait le ventre.

Pas un instant il n’avait perdu connaissance, et, cependant, les heures avaient passé plus vite que s’il avait vraiment veillé. Maintenant que sa pensée se dégageait de cette anesthésie, il commençait à se sentir souffrir. La première idée qui lui vint le frappa rudement, en pleine poitrine : « Est-ce que les brancardiers vont venir ? »

L’angoisse le saisit, et il se redressa à demi, pour regarder. Mais la douleur, brutalement, le recoucha.

Est-ce que les brancardiers allaient venir ?… Oui, certainement, quand la nuit serait tout à fait tombée. Mais s’ils ne venaient pas ? Une noire horreur obscurcit son cerveau, et il resta un moment immobile, comme terrassé, et presque sans souffrance. Puis il rouvrit les yeux.

Le crépuscule attristait encore ce bois tragique dont tous les arbres étaient nus comme des montants de croix. À quelques pas un soldat était tombé, le corps en boule, et l’on apercevait le blanc de sa chemise, sous sa capote ouverte, comme s’il avait cherché sa blessure avant de mourir. Un autre plus loin, semblait faire la sieste, adossé à un tronc rogné, la tête courbée sur l’épaule. Et ce pan d’étoffe bleue, en était-ce encore un ? Oui, encore…

La peur le reprit. Pourquoi serait-il seul vivant dans