Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/316

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cette forêt hantée ? Pour rester couché là, ne fallait-il pas être muet comme eux, froid comme eux ? C’était forcé, il fallait mourir…

Mais ce seul mot – mourir – le révolta au lieu de l’accabler. Eh bien, non… Il ne voulait pas mourir, il ne voulait pas ! L’esprit tendu, les poings crispés, il chercha à comprendre où il était. Nul indice, rien… Des obus entre-croisaient leurs rails par-dessus le bois ou se fracassaient tout près, faisant sauter la terre sous le sommeil des morts. Des obus allemands, ou des obus de chez nous ?… Il entendait bien de brèves fusillades, à la lisière, mais sans pouvoir s’orienter. Avions-nous avancé ? L’ennemi avait-il repris la forêt ?… Rien ne pouvait le renseigner. Son angoisse vivait seule dans ce bois mutilé, parmi ces dormeurs insensibles que l’épouvante ne tourmentait plus.

Avec le soir, pourtant, la canonnade s’apaisait ; il rôdait un vent froid qui sentait la pluie, et la terre visqueuse glaçait les jambes. La peur se rapprochait, couleur de nuit.

Soudain, il lui sembla entendre un craquement de branches. Faisant un brusque effort il se redressa sur le coude et appela :

— Par ici… Je suis blessé…

Rien ne répondit, rien ne bougea. Brisé par son effort, il retomba sur le côté, geignant. Sa blessure exaspérée lui tenaillait la poitrine, les entrailles, les reins, tout le corps. Dans le vertige de son mal, il balbutiait :

— Je ne bougerai plus… Je jure de ne plus bouger, mais faites-moi moins de mal.

Et pour apitoyer le Maître obscur qui le forçait à