Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/332

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voûté, appuyé sur une canne. L’artilleur l’accusait même de fumer du soufre, les matins de visite, de faire siffler ses poumons.

En promenade, il retrouvait pourtant de la voix pour brailler :

— Ils ne m’auront pas… On ne renvoie pas au casse-pipes un gars amoché comme moi… Ils me traîneront plutôt par les pieds.

L’artilleur qui les suivait en béquillant, lui grognait dans le dos :

— Il se dégonfle !… J’en étais sûr…

— J’ai fait ma bonne part, ripostait Sulphart… Maintenant j’en ai marre… Ceux qui s’en ressentent c’est pas moi qui prendrai leur place.

Le jour où il passa son conseil, ses camarades cassaient la croûte dans un petit café dont la patronne faisait de la friture. Il arriva transfiguré, sans canne, les pommettes roses.

— Réformé numéro I, brailla-t-il… Avec pension, les gars… Vive la classe !

L’artilleur lui tendit une lettre.

— Tiens, v’là une babille qui est arrivée pour toi… C’était de sa concierge : elle lui apprenait que sa femme était partie avec un Belge, en emmenant les meubles.

Les autres ne s’aperçurent de rien ; pas même de son affreuse pâleur. Il offrit deux bouteilles, il blagua avec eux et, le verre en main, il chanta : Le rêve passe. Seulement, en sortant – peut-être un coup de froid – il se mit à cracher le sang.