Page:Dorgelès - Les Croix de bois.djvu/333

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— Oui, madame Quignon, je vous dis que c’est une ordure, cette femme-là.

— Bah ! répondait la concierge en tournant son ragoût, c’est toujours une fois qu’on les a quittés que les hommes s’aperçoivent de ces choses-là.

Sulphart, vexé, remontait alors dans son logement, où sa femme n’avait laissé qu’un lit-cage, une chaise cannée et un beau calendrier qu’on leur avait offert pour leur mariage. Depuis huit jours qu’il était revenu, il traînait désœuvré dans Rouen, allait voir les anciens amis de leur ménage, tuait le temps chez le marchand de vin, attendait les camarades à la porte de l’usine, et, partout, il ne parlait que de sa femme, même à ceux qui ne l’avaient pas connue.

— Foutre le camp avec les bois, la garce !… Et pas une lettre, rien…

À raconter éternellement la même histoire, il avait vite lassé tout le monde. Les femmes, généralement, lui donnaient tort, disant que Mathilde ne pouvait pourtant pas rester toujours seule à s’embêter, que « ça » durait depuis trop longtemps et que les hommes auraient peut-être fait pire à la place des femmes.

Sulphart s’aigrissait. Il n’avait eu que des déceptions depuis son arrivée. À la caserne, où il comptait retrouver les effets de civil qu’il avait laissés le 2 août 1914, le sergent-major avait haussé les épaules : « Les fringues ? Elles étaient loin… » On avait bien fait des paquets de vêtements, soigneusement étiquetés et mis en tas réglementaires ; malheureusement, les uns avaient laissé un morceau de fromage dans leur poche,