Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/176

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
164
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

moire du sage Maïtreya, n’est pas la vision de la femme fière de sa beauté épanouie, c’est :


« La Vierge aux doux yeux longs, gracieuse et modeste.[1] »


Dans Çunacepa, si l’Ascète se réveille à la vie, et consent à aider, de sa sagesse ceux, qui l’implorent, c’est que la jeune Çanta l’a invoqué, il s’écrie à sa vue :


« D’où vient que tout mon corps frémit et que mes veines
Sentent brûler un sang, glacé par tant d’hivers… »


Certes, à Bourbon, le poète avait eu, sous les yeux, dans la prompte maturité des filles créoles, le spectacle d’une beauté qui était faite pour l’émouvoir. On retrouve, dans son œuvre, le souvenir de ces premiers troubles. Il sourit au passage d’un jeune corps « souple comme un roseau » sous les blancs vêtements; il aime à entendre « sonner les bracelets » aux bras et aux chevilles d’une enfant dorée ; il est ému par la vue d’une bouche « humide aux couleurs vives » ; il est hanté par la vision des lèvres a de corail » ; il se souvient de bras qui font, au cou, « un collier d’ambre ». Enfin, dans sa nouvelle : « Mon premier amour en prose, il s’explique sur l’attrait puissant de cette ardeur de vie qui brûle dans les veines des filles de demi-sang :

« Mon premier amour, écrit-il, m’avait assailli comme un coup de vent. Car j’étais amoureux, et amoureux de la plus délicieuse peau orangée qui fut sans doute sous la zone torride ! Amoureux de cheveux plus noirs et plus brillants que l’aile du martin de la montagne ! Amoureux de grands yeux plus étincelants que l’étoile de mer… Tellement amoureux, tellement ravi, le cœur tellement gonflé de bonheur que je tombai malade dès le soir même, attendu que je ne voulais plus ni boire ni manger, ni parler, ni dormir, et que j’étais

  1. « Bhagavat ». Poèmes Antiques.