Page:Dornis - Essai sur Leconte de Lisle, 1909.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
232
ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

Pour provoquer une telle impression chez le lecteur, ne faut-il pas que l’artiste, lui aussi, ait eu l’âme bouleversée par la souffrance morale et physique du Verbe Infini ?

D’autre part, quelle évocation du Golgotha, poésie ou peinture, a jamais dépassé en grandeur, en frisson d’épouvante, ces vers où la Montagne du Supplice apparaît, dans la lumière d’orage que la tradition impose à toutes les peintures du crucifiement :


« C’est l’horrible colline, où tant de cris suprêmes
Sont montés de la Croix avec de sourds blasphèmes,
Où le sol a tant bu de misérable sang,
Et que l’homme, parfois, se montre en frémissant,
Quand, aux pâles éclairs d’une orageuse nue,
Elle détache au ciel sa tête, morne et nue !…[1] »


Puis, c’est la scène de la mise au tombeau, où le lecteur a la sensation de frôler vraiment cette petite troupe d’hommes, soutenus par l’Amour, l’Espérance et la Foi, qui, les yeux lourds de pleurs, et presqu’aussi pâles que le Crucifié lui-même, portent, dans les ténèbres, le corps de Jésus :


« Le Sépulcre a reçu le Sauveur trépassé,
Les pieds à l’Orient, il repose, glacé,
Immobile, muet et rigide et semblable
À toute créature humaine et périssable.
Et ceux qui le pleuraient, l’ayant enseveli,
Le cœur de sa divine image encore empli,
Parlant bas, dans la nuit d’un nuage voilée,
Fermèrent le tombeau d’une pierre scellée ;
Puis, vers Jérusalem, éplorés, chancelants,
Ils descendirent tous la montagne à pas lents…[2] »


C’était autrefois un pieux usage que, dans les tableaux de sainteté, le peintre plaçât, parmi la foule, sa propre image ou celle du « Donateur ». On a la sensation que Leconte de

  1. « La Passion ». Derniers Poèmes.
  2. Ibid.