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LA FIGURE DU CHRIST

Jésus ! l’Agneau sans tache, et le Verbe incrée,
Comme un fils de la femme a donc désespéré ?[1] »


et il l’aperçoit au bout de son supplice :


« Désespéré d’être homme et doutant d’être un Dieu…[2] »


Si précises que soient ces déclarations, c’est dans son poème : Le Nazaréen, que Leconte de Lisle a, évidemment, résumé sa conviction et formulé, au sujet du Christ, son sentiment final. Il lui prodigue des termes d’éloges qui chantent comme une litanie. Une fois de plus, il le nomme « le seul Pur ; » « la Vivante Vertu ». Il l’affranchit, dans son angoisse dernière, de tout ce qui est préoccupation humaine :


« … Que pleurais-tu, grande âme, avec tant d’agonie ?
Ce n’était pas ton corps sur la croix desséché,
La jeunesse et l’amour, ta force et ton génie,
Ni l’empire du siècle à tes mains arraché…[3] »


Il ne lui laisse, pour l’animer encore, que la douleur. Et de cette douleur, quelle est la cause ? Du fond de l’abîme, Jésus a entendu s’élever la voix de l’Avenir et cette voix lui affirme qu’il a souffert en vain :


« … Pâle crucifié, tu n’étais pas un Dieu !
Tu n’étais ni le pain céleste, ni l’eau vive !…
Le Dieu s’est refait homme, et l’homme est oublié.[4] »


C’est alors que, devant cette inutilité du sacrifice, Leconte de Lisle peint le Christ prescient et désabusé de sa mission. La pensée du déchirement qu’un doute peut éveiller dans l’âme de la Sainte Victime, bouleverse le poète. Elle met

  1. « La Passion ». Derniers Poèmes.
  2. « L’Anathème ». Poèmes Barbares.
  3. « Le Nazaréen ». Poèmes Barbares.
  4. lbid.