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ESSAI SUR LECONTE DE LISLE

qu’il estime féconde. C’est en ce sens qu’il est un jacobin. Mais ce qu’il y a d’implacable dans les décisions de sa raison ne permet pas, à une conscience timorée comme la sienne, de s’écarter, même dans la fièvre de l’action, de ce qui est la nécessité du droit et l’opportunité de la justice. Il souffre donc d’une douleur, pire que toutes celles qu’il a endurées pendant le Siège, quand il voit les folies de la Commune compromettre, dans l’incendie, le sang, et le pillage, cet Idéal de la République, dont il écrivait dès le 19 mars 1871 :

« … Il y a quinze chances sur cent pour que la République meure avant d’avoir vécu. Quelle singulière nation que notre pauvre France ! »

Les mots qui lui montent aux lèvres pour désigner cette populace qui prétend agir au nom de la liberté et qui la compromet dans l’infamie, sont ceux de « scélérats » de « bandits »,

« … Je vous écris en pleurant d’horreur et de désespoir : l’infâme bande de scélérats qui tyrannisait et pillait Paris depuis le 18 mars, a consommé son œuvre en mettant le feu à presque tous nos monuments…[1] »

De quel œil, en effet, le philosophe, sincèrement épris de vérité qu’il est, persuadé que d’une instruction raisonnée sortira l’éducation supérieure du peuple, peut-il assister à ces criminelles et imbéciles destructions qui compromettent l’avenir de la pensée humaine ?

« … Ce n’est pas assez de nos palais, de nos bibliothèques, de toute la ligne des quais, depuis le Ministère des Affaires Étrangères, qui est en charpie, jusqu’à la Caisse des Dépôts qui n’est plus qu’un monceau de décombres. Voici que le feu éclate, au moment où je vous écris, rue Saint-Antoine, place Royale et aux environs…[2] »

En face de ces énergumènes qui attentent à l’Idée, Leconte de Lisle se dresse impitoyable. Il ne tient aucun compte des

  1. Paris, 19 mai 1871.
  2. Paris, 29 mai 1871.