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L’HOMME

joint à sa lettre une brochure malgache dont il est l’auteur. Maître Chrétien « notaire à Saint-Paul de la Réunion » en use de même avec le poète : il « soumet à sa bienveillance », des pages qu’il a écrites « sur notre chère colonie ». C’étaient là les petits inconvénients de la notoriété et Leconte de Lisle en souriait, avec une larme dans ses yeux clairs. C’est que, entre toutes les injustices dont il avait souffert au cours de sa vie, l’indifférence où le laissaient ses compatriotes créoles lui avait été particulièrement sensible. Il traversa donc ce qu’il y avait d’un peu intéressé dans leurs tardifs hommages pour en savourer le suc.

Afin de répondre à l’éloge de Victor Hugo, dont Leconte de Lisle était naturellement chargé, l’Académie française, désigna Alexandre Dumas fils. Les deux hommes ne s’étaient jamais fréquentés, et il semble bien que Dumas n’ait vraiment fait la connaissance de l’œuvre de Leconte de Lisle qu’en la lisant pour établir son propre discours[1].

Une lettre de lui, adressée au poète dans le courant de l’été 1886, indique qu’au moment même où il achevait cette lecture, Dumas, qui était d’un naturel enthousiaste, se sentit moins maître de son admiration qu’il ne le fit paraître dans le discours, très étudié et plein de réserves, par lequel il répondit, un peu plus tard, au nouvel Immortel[2].

  1. Leconte de Lisle a été élu sur le fauteuil de Victor Hugo le 11 février 1886. La réception eut lieu le 31 mars 1887.
  2. Voici un passage de cette lettre inédite de Dumas : « Mon cher Confrère… Pingard m’a dit que vous désiriez rentrer en possession de votre discours, le faire imprimer et le revoir. Comme j’en avais besoin pour faire le mien, je l’ai fait copier, c’est ce qui m’a empêché de vous l’envoyer dès que Pingard m’a prévenu. D’autant plus que pour éviter toutes les indiscrétions à prévoir dans ces temps-ci, je l’ai fait copier chez moi, par ma fille. Malgré l’intervention du géminin, ce secret sera bien gardé… Vos beaux vers ont été, tout cet été, le grand repos et la grande stimulance pendant que je faisais ma pièce. Je suis tout pénétré de vous et je tâcherai de vous le dire publiquement, le mieux possible. Croyez, mon cher confrère, à tous mes sentiments d’admiration et de sympathie… »