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LA GRÈCE

après son séjour de deux ans à Bourbon[1], il a jeté, à la mer, plus d’un millier de vers. Il déclarait : « leur inspiration confuse et leur forme insuffisante. » Une pièce unique, Hypatie[2], échappait à ce naufrage. Or, il est remarquable que le premier poème où le poète lui-même a jugé qu’il prenait conscience de son génie, a été celui dans lequel le Christianisme est honni, pour avoir fait crouler, sous les coups de sa doctrine de souffrance, ce monde de la beauté, que la Grèce a érigé, dans les figures marmoréennes de son Olympe.

« … Hypatie est la muse de Leconte de Lisle, écrit Théophile Gautier. Elle représente admirablement le sens de son inspiration. Il a, comme elle, le regret des Dieux superbes, les plus parfaits symboles de la Beauté, les plus magnifiques personnifications des forces naturelles, qui, n’ayant plus de temples ni d’admirateurs régnent encore sur le monde par la pureté de la forme. Le Progrès de la Poésie. » Et Leconte de Lisle aperçoit, si réellement, sous les traits d’Hypatie, l’Idéal d’ordre et de perfections harmonieuses par lesquelles il est à jamais conquis, qu’il lui arrivera, de ressusciter une seconde fois la noble vierge païenne, afin de la mettre aux prises avec l’esprit du Christianisme, incarné dans un Évêque fanatique[3]. Mais, à cette minute, il se contente d’élever son esprit vers celle qui, d’un pan de sa robe pieuse « couvrit la tombe auguste où s’endormaient ses Dieux. » Il l’aperçoit, debout, sous les portiques sacrés, où les philosophes rêvèrent ; sur ses lèvres, l’abeille attique chante ; « les Immortels trahis palpitent dans son sein » ; pour l’avoir maudite et frappée le « Galiléen » est traité de « vil ».

  1. Le poète a quitté Rennes en 1844 pour se rendre à Saint-Denis. En 1846, il s’est s’installé définitivement à Paris.
  2. « Hypatie ». Écrite en 1843 elle parut dans Poèmes et Poésies en 1852 et dans les Poèmes Antiques en 1855.
  3. « Hypatie et Cyrille ». Poèmes Antiques.