Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/202

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cher avidement les « nouveaux détails » dans les numéros suivants. Une impatience fiévreuse faisait trembler ses mains, tandis qu’il feuilletait les journaux. Tout à coup quelqu’un s’assit à côté de lui, à sa table. Raskolnikoff regarda. — C’était Zamétoff, Zamétoff en personne et dans la même toilette qu’au bureau de police : il avait toujours ses bagues, ses chaînes, ses cheveux noirs frisés, pommadés et artistement séparés sur le milieu de la tête, son élégant gilet, sa redingote un peu usée et son linge défraîchi.

Le chef de la chancellerie était gai, du moins il souriait avec beaucoup de gaieté et de bonhomie. Une certaine rougeur, effet du champagne qu’il avait bu, se montrait sur son visage basané.

— Comment ! vous ici ? commença-t-il d’un air étonné et du ton qu’il aurait pris pour aborder un vieux camarade ; mais, hier encore, Razoumikhine m’a dit que vous étiez toujours sans connaissance. Voilà qui est étrange ! Dites donc, j’ai été chez vous…

Raskolnikoff se doutait bien que le chef de la chancellerie viendrait causer avec lui. Il mit les journaux de côté et se tourna vers Zamétoff avec un sourire dans lequel perçait un vif agacement.

— On m’a appris votre visite, répondit-il. — Vous avez cherché ma botte… Mais, vous savez, Razoumikhine est fou de vous. Vous êtes allé, paraît-il, avec lui chez Louise Ivanovna, celle dont vous essayiez de prendre la défense l’autre jour, vous vous rappelez ? Vous faisiez des signes au lieutenant Poudre, et il ne comprenait pas vos clignements d’yeux. Pourtant il ne fallait pas être bien malin pour les comprendre ; l’affaire était claire… hein ?

— Il est joliment tapageur !

— Poudre ?

— Non, votre ami, Razoumikhine…

— Mais vous vous la coulez douce, monsieur Zamétoff :