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Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 1.djvu/63

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— C’est justement de vous que j’ai besoin, cria le jeune homme, et il le prit par le bras.

— Je suis un ancien étudiant, je m’appelle Raskolnikoff… Vous pouvez aussi savoir cela, ajouta-t-il en s’adressant au monsieur ; — vous, venez avec moi, je vais vous montrer quelque chose…

Et, tenant toujours le sergent de ville par le bras, il l’entraîna vers le banc.

— Voilà, regardez, elle est en état complet d’ivresse, tout à l’heure elle se promenait sur le boulevard : il est difficile de deviner sa position sociale, mais elle n’a pas l’air d’une coureuse de profession. Le plus probable, c’est qu’on l’a fait boire quelque part et qu’on a abusé d’elle… elle en est à ses débuts… vous comprenez ? ensuite, ivre comme elle était, on l’a jetée sur la rue. Voyez comme sa robe est déchirée, voyez comme elle est mise : la jeune fille ne s’est pas habillée elle-même, on l’a habillée, et ce sont des mains inexpérimentées, des mains d’homme qui ont fait la besogne. À présent, regardez par ici : ce beau monsieur avec qui je voulais me colleter tout à l’heure, je ne le connais pas, je le vois pour la première fois ; mais il l’a remarquée, lui aussi, sur son chemin ; il a vu qu’elle était ivre, qu’elle n’avait plus conscience de rien, et il voudrait profiter de son état pour l’emmener dans quelque maison de passe… C’est certain, soyez sûr que je ne me trompe pas. J’ai vu moi-même comme il la reluquait, comme il la suivait ; seulement je l’ai dérangé dans ses projets, et maintenant il attend que je m’en aille. Voyez, il s’est retiré un peu à l’écart, et il roule une cigarette pour se donner une contenance… Comment lui arracher cette jeune fille ? Comment la faire rentrer chez elle ? pensez-y un peu !

Le sergent de ville comprit immédiatement la situation et se mit à réfléchir. Il ne pouvait exister aucun doute sur les desseins du gros monsieur, restait la fillette. Le soldat