Page:Dostoïevski - Crime et chatiment, tome 2.djvu/16

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contacts avec l’autre monde se multiplient jusqu’à ce que la mort l’y fasse entrer de plain-pied. » Il y a longtemps que je me suis fait ce raisonnement, et, si vous croyez à la vie future, rien ne vous empêche de l’admettre.

— Je ne crois pas à la vie future, répondit Raskolnikoff.

Svidrigaïloff restait songeur.

— S’il n’y avait là que des araignées ou d’autres choses semblables ? fit-il tout à coup.

« C’est un fou », pensa Raskolnikoff.

— Nous nous représentons toujours l’éternité comme une idée qu’on ne peut pas comprendre, quelque chose d’immense, d’immense ! Mais pourquoi donc serait-elle nécessairement ainsi ? Au lieu de tout cela, figurez-vous une petite chambre, comme qui dirait un cabinet de bain, noircie par la fumée, avec des araignées dans tous les coins, et voilà toute l’éternité. Moi, vous savez, c’est de cette façon que je l’imagine parfois.

— Quoi ! Se peut-il que vous ne vous en fassiez pas une idée plus consolante et plus juste ! s’écria Raskolnikoff avec un sentiment de malaise.

— Plus juste ? Qui sait ? ce point de vue est peut-être le vrai, et il le serait certainement si cela dépendait de moi ! répondit Svidrigaïloff avec un vague sourire.

Cette sinistre réponse fit courir un frisson dans tous les membres de Raskolnikoff. Svidrigaïloff releva la tête, regarda fixement le jeune homme et soudain éclata de rire.

— Est-ce assez curieux ! s’écria-t-il : — il y a une demi-heure, nous ne nous étions pas encore vus, nous nous considérons comme des ennemis, une affaire reste à vider entre nous ; nous avons laissé de côté cette affaire, et nous nous sommes mis à philosopher ensemble ! Eh bien, quand je vous le disais, que nous sommes deux plantes du même champ !

— Pardon, reprit Raskolnikoff agacé, — veuillez, s’il vous plaît, m’expliquer sans plus de retard pourquoi vous m’avez fait l’honneur de votre visite… je suis pressé, j’ai à sortir…