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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

mon drapeau, pour arborer le vôtre, vous ne m’estimeriez plus. Vous vous regarderiez toujours comme les vainqueurs et me considéreriez comme le vaincu. Vous vous souviendriez mieux du sang des miens, versé sur l’échafaud qu’abritait votre étendard, et vous m’accuseriez de ne me le rappeler que trop. Je ne réclame que ce que réclame mon honneur, qui devient le vôtre. Pourquoi voudriez-vous qu’en remontant sur le trône, j’eusse l’air d’un pénitent ? Je n’ai point imploré et n’implore point une grâce. Je reviens par mon droit, et non par la force des armes. Mon droit et votre volonté se trouvent d’accord, si bien que mon retour sous mon drapeau, que vous n’aimez point, est honorable, et pour vous et pour moi. Il n’en serait plus de même dans d’autres conditions. Sans dignité, sans justice, notre réconciliation perd toute sa valeur. Il faut quelque chose qui dise que j’oublie et que vous regrettez. Conviendrait-il que l’on pût m’accuser d’usurper le drapeau des Napoléons ? Je laisse aux Napoléons leur drapeau avec leur histoire, depuis Arcole jusqu’à Sedan. Le drapeau blanc peut vivre de sa propre gloire. Qu’il rentre en France pur de tout combat contre les Français ! Ce ne sera pas sa moins belle auréole. »

Ainsi pourrait parler Henri V. Il se tait, et cela vaut mieux encore. Il n’a pas besoin de dire ce que la France comprend assez. Sa cause triomphe d’elle-même, sans discours. On peut épargner les paroles quand les faits sont assez éloquents. La monarchie ou l’anarchie, un vrai monarque ou rien ! La couronne, indispensable à notre salut, n’est pas nécessaire à son honneur. Il peut la porter avec gloire et, s’il ne la porte pas, il aura eu la gloire de la refuser par honneur. Nulle situation humaine ne saurait promettre de plus belles et de plus libres destinées. Ce vainqueur aura été, à lui seul, son armée et son conseil. Autour de lui, point de soldats ; il ne s’aidera ni de l’or, ni des conspirations. Il arrivera au travers de terribles obstacles, mais sans avoir rien à payer, sans avoir à être ingrat, sans effusion de sang, ne tenant à la main que son étendard proscrit. »

Ces deux opinions sur le comte de Chambord, expri-