Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/128

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
124
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

du reste justifiée par la situation que créent aux catholiques de ce pays des lois nouvelles sur l’Église. Partout on organise des pèlerinages, qui serviront à rapprocher de Rome des Français, des Allemands et des Suisses des classes populaires. Tout cela fait penser à une immense agitation soulevée partout dans l’intérêt du Pape, toujours infaillible, mais privé de ses domaines. Ce mouvement clérical est, peut-être, surtout important parce qu’il nous fait assister à la dernière manœuvre du catholicisme, au dernier essai tenté pour intéresser au sort de Rome les rois et les puissants de ce monde. Cet ultime expédient pourrait bien ne pas réussir et démontrer au gouvernement pontifical qu’il ne faut plus compter sur les princes, ni sur les hauts personnages. Croyez qu’après cela Rome saura s’adresser aux peuples eux-mêmes, comme elle commence à le faire, du reste, après avoir été jusqu’à leur cacher le texte des évangiles en en prohibant les traductions. Le Pape saura aller au peuple, pieds nus, mendiant, couvert de haillons, mais suivi d’une armée de vingt mille Jésuites experts en la direction des âmes humaines. Karl Marx et Bakounine seront-ils de force à lutter contre ces pieuses troupes ? J’en doute. Le catholicisme sait faire, quand il le faut, des sacrifices et tout concilier. Est-il bien difficile d’assurer au peuple ignorant et souffrant que le communisme et le christianisme ne sont qu’une seule et même chose ; que le Christ n’a parlé que de communisme, encore et toujours de communisme ? Rome pousse déjà en avant certains socialistes, pourtant instruits et intelligents, qui donnent aveuglément dans le panneau et prennent l’Antéchrist pour le Christ.

Henri V ne pourra éviter de faire la guerre en faveur du Pape, justement parce que nous vivons dans les dernières années où une pareille campagne ait quelque chance d’être populaire. Si Henri V avait le pouvoir de venger la France battue, rançonnée, dépouillée de l’Alsace et de la Lorraine par l’Allemagne, nul doute que ce redresseur de torts n’affermirait son trône pour longtemps. Ah ! si, dès qu’il aurait ceint la couronne, il s’avisait de déclarer la guerre aux Allemands, il ne serait pas suivi.