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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Dans notre précédent compte rendu, nous disions qu’après la ruine, en France, de tous les espoirs de restauration monarchique, la majorité de droite, d’abord accablée par la fameuse lettre du comte de Chambord, avait réussi pourtant à reprendre ses esprits et à élaborer un projet portant prorogation, pour dix ans, des pouvoirs du maréchal de Mac-Mahon. Ce projet était rédigé de la façon la plus arrogante. Il était plein de cette insolence reprochée au « parti de la lutte » depuis sa victoire du 24 mai jusqu’à présent.

La première idée qui germa, au lendemain de la désastreuse lettre, fut celle de proclamer l’un des princes d’Orléans « lieutenant général du Royaume » et de lui transmettre le pouvoir exécutif. Ainsi, la France, bien que dépourvue de roi, se serait trouvée quand même en monarchie. Dans ce beau projet, ce qu’il y avait de plus inepte, c’était l’opinion que ses partisans se faisaient de la France et des Français. Comment pouvait-on, avec le moindre soupçon d’intelligence politique, admettre qu’un tel expédient, qui ne résolvait rien, pût établir dans le pays la paix et la tranquillité ? En d’autres temps une pareille balourdise eût à jamais ruiné le crédit du parti, eût détaché de lui tous les membres raisonnables de l’Assemblée. Mais la droite ne s’effondra pas pour cela, bien que le projet tombât de lui-même, parce que les d’Orléans, gens avisés, ne voulurent pas prêter l’appui de leur nom à une pareille absurdité. Alors, se retournant de tous les côtés, la droite voulut offrir ce titre de « lieutenant général du Royaume » au maréchal de Mac-Machon, qui refusa cet honneur en alléguant qu’il lui était impossible de jouer au « lieutenant général » d’un royaume qui n’avait pas de roi. Ce fut à ce moment qu’on arrêta au parti de proroger les pouvoirs du maréchal pour dix ans et de faire durer l’assemblée au moins trois années encore.

En la circonstance, le brave maréchal qui prenait goût au pouvoir depuis le 24 mai, voulut poser des conditions qui, bien que dictées par un certain bon sens, laissaient entrevoir une singulière imprévoyance, car, vraiment, à la fin des fins, on traitait par trop la France en tabula rasa. Le maréchal demanda des garanties pour tous les