Page:Dostoïevski - Journal d’un ecrivain.djvu/181

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
177
JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

petite vieille proprette, vêtue d’un costume suranné ; elle a l’air d’appartenir à la classe bourgeoise. Elle a un visage pâle, jaune, la peau desséchée et collée aux os ; ses lèvres sont décolorées ; on dirait une momie. Elle reste assise, souriante ; le soleil lui dore la figure.

— Tu dois être très vieille, grand’mère, lui dis-je en plaisantant.

— Cent quatre ans, ma chère, cent quatre ans, pas plus.

Elle plaisante à son tour.

— Et toi, où vas-tu ? me demande-t-elle. Et elle sourit encore. Elle est contente de causer avec quelqu’un.

— Vois-tu, grand’mère, j’ai été acheter des souliers pour ma fillette et je les porte chez moi.

— Oh ! ils sont petits, les souliers. C’est une bien petite fille. As-tu d’autres enfants ?

Et toujours elle me regarde en souriant. Ses yeux sont un peu éteints ; quelque chose y brille encore cependant comme un rayon faible, mais chaud.

— Grand’mère, prends cette monnaie ; tu t’achèteras un petit pain.

— Quelle idée de me donner ça ! Mais je te remercie ; je garderai ta piécette.

— Excuse-moi, grand’mère.

Elle prend la pièce de monnaie, mais par politesse, par bonté de cœur. Peut-être même est-elle contente que non seulement on lui parle, mais encore qu’on s’occupe d’elle affectueusement.

— Eh bien, adieu, dis-je, ma bonne vieille. Je souhaite que tu arrives bientôt chez les tiens.

— Mais oui, j’arriverai, ma chère, j’arriverai. Et toi, va-t-en voir ta petite-fille. Elle oubliait que j’ai une fille et non une petite-fille. Il lui semblait que tout le monde avait des petites-filles.

« Je m’en suis allée et, en me retournant, je l’ai vue qui se levait avec peine, s’appuyait sur son bâton et se trainait par la rue. Peut-être se sera-t-elle arrêtée au moins dix fois encore avant d’arriver chez ses petits-enfants où elle va « diner ». Une étrange petite vieille ! »

C’est, comme je le disais, un de ces matins derniers, que j’ai entendu ce récit ou plutôt cette impression d’une