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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

en mainte chose. Ils se fortifiaient en s’appuyant sur vous, mais comptaient vous vendre le plus cher possible à vos ennemis. Le pape, lui, ne vous trahira pas ; il n’y a personne au-dessus de lui. Croyez non pas en Dieu, mais en le pape : lui seul est maître de la terre, et tous ceux qui luttent contre lui doivent périr. Réjouissez-vous : le paradis terrestre sera vôtre de nouveau ; vous serez tous riches, justes par conséquent, puisque vous n’aurez plus rien à désirer et qu’ainsi toute cause de mal disparaîtra. »

Le Démos acceptera ces propositions agréables. Il acclamera le nouveau maître, qui consentira à tout, heureux d’être débarrassé de meneurs au pouvoir pratique desquels il ne croyait plus. On lui mettra ainsi le levier en main : il n’y aura plus qu’a soulever. Croyez-vous que le peuple n’appuiera pas sur le levier ? On lui rendra la croyance du même coup, et il est évident qu’il sentait un malaise, une angoisse à demeurer sans Dieu.

Qu’on me pardonne ma présomption, mais je suis sûr que tout cela s’accomplira nécessairement dans l’Europe occidentale. Le catholicisme se tournera du côté du peuple, abandonnant les grands de ce monde, parce que ceux-ci l’ont, eux-mêmes, abandonné. Bismarck ne se serait pas avisé de le persécuter s’il n’avait senti en lui un ennemi de demain, — et un ennemi terrible.

Le prince de Bismarck est trop avisé pour perdre son temps à attaquer un adversaire peu dangereux : le pape est plus fort que lui. Je le répète, le groupe catholique et papal est peut-être l’une des factions les plus formidables de celles qui menacent la paix du monde. Du reste, tout en Europe est comme sapé, tout est posé sur une poudrière qui n’attend qu’une étincelle…

« Et qu’est-ce que cela nous fait ? Tout cela se passe en Europe, et non pas chez nous ? Cela nous fait que l’Europe s’adressera à nous pour que nous la secourions quand sonnera la dernière heure de l’ « état de choses » d’aujourd’hui.

Elle exigera notre aide. Elle nous dira que nous faisons partie de l’Europe, que le même « état de choses » existe chez nous, que ce n’est pas en vain que nous