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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

fant chéri font une apparition à Pétersbourg ; puis l’enfant chéri se rend seul à Moscou pour chercher une place. Kaïrova lui écrit des lettres tendres et passionnées, mais Welikanov ne montre aucun talent épistolaire. Dans ces lettres, observe M. Outine, on voit un petit nuage poindre à l’horizon, un nuage qui plus tard envahit tout le ciel et déchaina la tempête. M. Outine a horreur du style simple et s’exprime toujours à l’aide d’impressionnantes images. Mais Welikanov revient, et Mme Kaïrova et lui vivent à Pétersbourg (maritalement s’entend).

Nous arrivons à l’épisode le plus grave du roman. La femme de Welikanov reparait et, dit M. Outine, la Kaïrova se sent tressaillir comme une lionne à qui l’on veut enlever ses petits. Car nous sommes en pleine période de grande éloquence. Elle n’avait pas besoin de cette éloquence pour nous sembler bien à plaindre, cette malheureuse Kaïrova, qui ne sait quoi faire entre la femme et le mari. Welikanov se révèle perfide. Il trompe tour à tour sa femme et la Kaïrova. Il est surtout obligé à de grands ménagements envers cette dernière, qu’il calme en lui faisant accroire que sa femme va bientôt partir pour l’étranger. M. Outine nous présente l’amour de sa cliente comme une passion non seulement sympathique mais édifiante et pour ainsi dire hautement morale. Si morale que la Kaïrova prend la résolution de proposer à Welikanova de lui céder son mari : «… Si vous voulez vivre avec lui, prenez-le. Sinon disparaissez ou moi je pars. Décidez-vous, choisissez. » KaÏrova eut l’intention de tenir ce langage à sa rivale, mais je ne parviens pas à savoir si elle parla ou non. En attendant on ne s’arrêta à aucun parti, et Kaïrova passe désormais son temps à « bouillir de rage ». Elle n’eût pas été femme, nous fait remarquer M. Outine, si elle eût cédé Welikanov sans lutte. La jalousie s’empara d’elle, anéantit sa volonté, l’émietta. Comment pouvait-elle, dès lors, se maîtriser ? Dix jours se passent. Elle languissait. La fièvre la minait, elle ne mangeait plus, ne dormait plus, courait de Pétersbourg à Oranienbaum, et ce funeste lundi 7 juillet, arriva.

Ce lundi-là, ce jour funeste, Kaïrova se rend chez elle, à la campagne. On lui dit que la femme de Welikanov