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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Cette mère-là, il sera impossible même de la juger. La pauvre fille trompée, apitoyante. Si l’on se met à penser à la Marguerite de Faust (il se trouve parfois au nombre des jurés des gens qui ont énormément de littérature), comment pourra-t-on la juger ? Il sera même bon d’ouvrir une souscription à son bénéfice !… Je suis bien content que tant d’enfants aient trouvé asile dans la maison que j’ai visité !

En regardant ces petits, il me venait des pensées peut-être futiles. Je me demandais, par exemple, vers quel âge ces enfants se rendent compte de leur position, comprennent qu’ils ne sont pas « des enfants comme les autres ». Sans une grande expérience il est bien difficile de le conjecturer, mais j’ai senti qu’ils doivent, de bonne heure, se douter de quelque chose, de si bonne heure, que cela pourrait sembler incroyable à certaines gens. Ah ! si l’enfant, ne prenait connaissance de la vie que par les livres, il n’arriverait pas à la profondeur d’entendement que l’on découvre parfois chez lui ! On se demande souvent comment il a acquis telles idées qui semblent devoir lui être inaccessibles.

Un enfant de cinq ou six ans sait parfois, sur Dieu, sur le bien et le mal, des choses surprenantes, et vous en viendrez, malgré vous, à vous dire que, certainement, la Nature a donné aux petits des moyens d’apprendre la vérité que n’ont pas découvert les pédagogues. Oh ! parbleu ! Si vous interrogez un gamin de six ans sur le bien et le mal, il éclatera de rire. Mais ayez la patience de lui citer des faits, de voir ce que sa petite cervelle en déduit, et vous ne serez pas long à voir qu’il en sait peut-être plus long que vous sur Dieu, ce qui est louable et ce qui est blâmable. Il en sait même plus long que l’avocat le plus retors, parce que ce dernier est aveuglé par le besoin de faire valoir ses arguments.

Oui, ces enfants des asiles doivent s’être rendu compte qu’ils ne sont pas « comme les autres enfants », et je suis certain que ce n’est pas par les nourrices ou les surveillantes qu’ils le savent. Vous découvrez vite, j’en suis sûr, qu’ils ne comprennent que trop de choses à ce sujet.