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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

des résultats. La femme russe a bravement méprisé les obstacles et les railleries. Elle a nettement exprimé son désir de participer à l’œuvre commune : elle a travaillé avec désintéressement et abnégation. Le Russe, homme, s’est, au cours de ces dix dernières années, terriblement adonné au libertinage, a été pris du prurit du gain, s’est fait gloire de son cynisme et de ses appétits grossiers. La femme est restée, beaucoup plus que lui, fidèle au culte et au service de l’Idée. Dans sa soif d’acquérir une instruction supérieure elle a donné l’exemple de toutes les vaillances. Le Carnet d’un Écrivain m’a donné l’occasion de comprendre mieux la femme russe. J’ai reçu des lettres remarquables signées de noms féminins. Je regrette de ne pouvoir répéter ici tout ce qu’on m’a écrit.

Ce n’est pas que je sois aveugle pour quelques défauts de la femme contemporaine. Le plus grave est d’accepter sans contrôle et de suivre trop loin certaines idées masculines. En tout cas, ce défaut témoigne d’assez nobles qualités de cœur. Les femmes apprécient surtout les sentiments généreux, les belles paroles et plus que tout le reste ce qu’elles croient être de la sincérité. Elles sont souvent victimes des sincérités apparentes, se laissent entraîner par les opinions spécieuses, et c’est malheureux. L’instruction supérieure pourra aider puissamment à corriger cela dans un avenir prochain. En adoptant avec toutes ses conséquences et sans restrictions le principe de l’éducation supérieure accordée aux femmes, en y joignant les droits qu’elle doit procurer, la Russie ferait un grand pas dans la vole qui mènera à la régénération de l’humanité. Dieu veuille que la femme russe se lasse moins souvent comme, par exemple, la malheureuse Pissareva ! Qu’elle imite plutôt une autre Russe, la femme de Stchapov, et qu’elle se réconforte aux heures de découragement par l’amour et l’abnégation. Mais l’une et l’autre sont également douloureuses à nous rappeler et inoubliables, l’une si noblement énergique et si mal récompensée, l’autre désolée, désespérée, vaincue…