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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

de la troisième classe. C’est déjà un grand bienfait pour les pauvres ! »

On me dit que ces pauvres peuvent non seulement faire gratuitement leur cure, mais qu’ils sont encore nourris et logés, je ne me rappelle plus par qui.

Dès que vous êtes installé à Ems, dans une chambre d’hôtel, depuis deux ou trois jours, deux messieurs d’aspect doux et modeste vous rendent visite, porteurs de petits livres de souscriptions. L’un d’eux reçoit des offrandes pour les malades indigents. Sur son livre figure un avis imprimé des docteurs d’Ems, vous exhortant à vous souvenir des pauvres. Vous donnez votre obole suivant vos moyens et inscrivez votre nom sur le carnet. J’ai parcouru les listes de souscripteurs et j’ai été frappé de leur manque de prodigalité. Un demi-mark, un mark, pas souvent trois marks, très rarement cinq marks.

— Combien pouvez-vous rassembler d’argent dans la saison ? demandai-je.

— Jusqu’à mille thalers, Mein Herr, mais c’est encore bien peu en comparaison de ce dont nous aurions besoin pour cent personnes environ que nous entretenons complètement. »

En effet, c’est peu, mille thalers : c’est trois mille marks. S’il vient 15.000 visiteurs aux eaux, il est évident qu’il y en a qui ne donnent rien et mettent le collecteur à la porte (comme je l’ai vu par la suite). Cependant le public est brillant, très brillant. Entrez dans le pavillon où l’on boit les eaux, à l’heure de la cure, et regardez cette foule qui écoute l’orchestre.

… À ce propos, j’ai lu ces temps-ci, dans les journaux que les Russes avaient souscrit très peu d’argent pour les Slaves révoltés, en comparaison de ce que l’Europe avait offert. On parlait surtout de l’Autriche qui, à elle seule, avait versé plusieurs (!) millions de gulden pour l’entretien des familles des insurgés (des milliers de ces familles se sont réfugiées sur le territoire autrichien.) L’Angleterre et même la France et l’Italie se seraient montrées beaucoup plus généreuses que nous. Franchement, je ne crois pas à tant d’empressement de la part des nations européennes. Pour ce qui est de l’Angleterre, surtout, je

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