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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

soit convenablement vêtue. Et elle n’a aucunement l’air malheureux. Elle est gaie, bien portante, d’une placidité à toute épreuve. Non, chez nous, on ne travaille pas autant ! Jamais une bonne russe n’entrerait das un pareil bagne pour les gages que reçoit l’Allemande. Et la domestique de chez nous sera oublieuse, sale, cassera, abîmera, sera de mauvaise humeur, dira des grossièretés. Ici vraiment, je n’ai eu à me plaindre de rien pendant tout le mois. Faut-il louer, faut-il blâmer ? Je louerai plutôt, bien que cela mérite plus de réflexions. Il est bon de dire qu’ici chacun prend son sort comme il est, et s’en contente presque toujours. Chacun ici connaît son travail et ne connaît que cela. Il n’est pas inutile d’ajouter que les maîtresses travaillent autant que leurs domestiques.

Les fonctionnaires allemands sont également laborieux, ce qui ne les empêche pas d’être aimables. Prenez un receveur des postes russe. Dans ses rapports avec le public, il sera toujours bourru, irrité ou tout au moins de mine désagréable. Il est fier comme Jupiter Olympien, l’employé, surtout l’employé subalterne, charger de donner des renseignements au public. Il y a foule, vous attendez longuement votre tour. Vous arrivez enfin au guichet. L’employé ne vous écoutera pas ; il vous tournera le dos pour causer avec un collègue placé derrière lui. Il prendra un papier en feignant d’y chercher un détail d’une extrême importance. Vous voyez bien que tout cela est fait exprès. Mais vous attendez patiemment et tout à coup votre employé se lève, quitte le bureau ; l’heure sonne ; c’est l’heure de la fermeture. Allez-vous en, bon public ! Et notre fonctionnaire russe est occupé bien moins de temps par jour que son confrère allemand ! Ce qui le caractérise avant tout, c’est son animosité contre le public. Il tient à vous montrer que vous dépendez de lui : « Moi, semble-t-il dire, je suis derrière le guichet, j’ai le droit de me comporter comme il me plaira, et si vous vous fâcher, je vous ferai jeter dehors par un garçon de salle. »

Ici, à Ems, il n’y a guère, à la poste, que deux ou trois employés. Pendant la saison (en juin et juillet, par exemple), il arrive des milliers de voyageurs par jour.