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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN


Il faut vous dire en passant que mon ami adore les enfants, les petits marmots surtout. Il court après eux. À Ems il était connu pour cela. Il aime à se promener où on en rencontre. Il fait leur connaissance, n’eussent-ils qu’un an, et il est arrivé à ce résultat que des tout petits le reconnaissent très bien et lui sourient, lui tendent leurs petites mains. C’est une passion chez lui.

— Tel que vous me voyez, j’ai acheté aujourd’hui deux petites flûtes, pas pour des écoliers — ils sont grands ceux-là — mais pour deux crapauds de deux et trois ans, deux frères. Ils s’extasiaient devant les joujoux. La marchande, une rusée allemande, a bien compris de quoi il retournait et leur a coulissé une flûte à chacun. J’en ai été pour mes deux marks. Les petits étaient ravis. Ils trottinaient en flûtant. Il y a une heure de cela, et ils flûtonnent encore. Je vous disais l’autre jour que ce qu’il y avait de meilleur au monde, c’était la société raffinée. Eh bien, je me trompais. Ce qu’il y a de meilleur, c’est cette foule d’enfants que l’on voit à Ems. Ah ! pourquoi Paris s’est-il arrêté ?

— Comment arrêté ?

— À Paris, il y a une industrie admirable qui est celle de « l’article-Paris ». C’est cela qui, joint aux fruits et aux vins, a aidé le pays à payer 5 milliards aux Allemands. Malheureusement les Parisiens sont si occupés de cette industrie qu’ils en oublient de procréer des enfants. La France a suivi l’exemple de Paris. Chaque année un ministre déclare aux Chambres que « la population reste stationnaire ». Les enfants ne naissent plus, ou s’ils naissent, ils ne vivent pas. « Mais, ajoute le ministre avec orgueil, nos vieillards tiennent bon ! » Ah ! qu’ils crèvent donc les vieillards ! La France en farcit ses Chambres ! Y a-t-il là de quoi se réjouir ?… Il y a un écrivain français assez absurde, un idéaliste de la nouvelle école, Alexandre Dumas fils. Absurde, soit, mais il a parfois de bons mouvements. Il demande, par exemple, à la femme française d’enfanter ! Il a, aussi, dévoilé un secret de la bourgeoisie parisienne. La bourgeoise aisée ne veut que deux enfants, pas un de plus. Elle s’arrange avec son mari pour cela. Elle en a deux, et puis elle se met en