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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

sentants de cette aimable catégorie de « meilleurs hommes » récemment inventée. Le boursier a des écrivains à ses gages ; les avocats s’empressent autour de lui ; tout le monde lui chante des hymnes pleins de ses louanges… Le sac d’or est si puissant qu’il commence à inspirer de la terreur.

Mais nous, les représentants de la classe élevée, ne nous laissons pas gagner au culte de la nouvelle idole. Depuis deux cents ans, les nôtres jouissent des bienfaits de l’instruction. L’instruction doit être pour nous une armure qui nous permettra de vaincre le monstre. Hélas ! notre peuple de cent millions d’individus, si corrompu et déjà entamé par le Juif, qu’opposera-t-il au monstre du matérialisme déguisé en sac d’or ? Sa misère, ses haillons, les impôts qu’il paye, ses privations, ses vices, l’eau-de-vie, les mauvais traitements subis ? Combien il est à craindre que ce soit lui qui, avant tous les autres, s’écrie :

« Ô sac d’or, tu es tout : tu es la force, la tranquillité, le bonheur ! Je me prosterne devant toi ! »

N’est-ce pas à craindre ?