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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

peu elle se fût habituée au souvenir de cette honte et qui sait si, après avoir trop songé à ce qui lui était arrivé, elle n’aurait pas eu la fantaisie de chercher une nouvelle ; aventure du même genre ?… À douze ans ! On devine tout ce qui serait advenu par la suite !… Et cette autre fillette qui, au lieu d’aller à l’école, passe son temps aux vitrines des magasins et dans les passages, et donne à la première gamine l’idée d’un nouvel emploi de son temps ? J’ai déjà entendu parler auparavant de jeunes garçons qui trouvaient que l’école était fastidieuse et que le vagabondage avait beaucoup de charme et de gaîté. La propension au vagabondage est presque nationale, en Russie ; c’est encore un de ces penchants naturels qui nous distinguent du reste des Européens, un penchant qui devient plus tard une passion maladive, dont le premier germe a été contracté dès l’enfance. Je vois qu’il y a maintenant aussi des fillettes qui vagabondent, certes bien innocemment au début. Mais fussent-elles pures comme de petits êtres primitifs évoluant dans un paradis terrestre, elles n’échapperont pas à la « connaissance du bien et du mal », même si elles ne pêchent qu’en imagination. La rue est une école où l’on apprend vite ! L’essentiel, je le répète, c’est de songer à quel point est intéressant cet âge où l’innocence encore enfantine s’allie à une incroyable aptitude à recevoir des impressions, à une extraordinaire faculté de s’assimiler toute espèce d’expérience, bonne ou mauvaise. C’est ce qui rend si dangereuse et si critique cette période de la vie des adolescents.