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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

qui sauraient appuyer leurs dires, car leur intérêt est de voir les Chrétiens d’Orient haïr la Russie. D’un autre côté, les Slaves haïssent les Grecs et les Grecs méprisent les Slaves, et les deux races finiraient par en venir aux mains, ce qui ferait l’affaire de l’Europe, tandis que la Russie, qui n’aurait pas les mêmes raisons de diviser pour régner pourrait exercer une forte surveillance et maintenir le calme. Si la Russie a le tort de se désintéresser de ce qui se passe dans la presqu’île balkanique, l’union religieuse de toutes les populations chrétiennes qui habitent la Turquie sera continuellement en péril.

À la mort de l’homme malade il sera presque impossible d’éviter un concile qui aura pour tâche d’aplanir les difficultés rencontrées par l’Église renaissante. Pendant quatre siècles, les chefs religieux d’Orient ont suivi les conseils de la Russie, mais qu’ils soient libres du joug turc et inspirés par l’Europe et ils montreront de tout autres intentions à notre égard. Puis les Bulgares demanderont peut-être l’installation d’un nouveau pape à Constantinople — et qui sait s’ils n’auront pas raison ? Nouvelle querelle avec les Grecs. Il faudra que les Russes soient là pour apaiser les conflits.

Nous ne devrons faire aucune concession à aucune nation européenne en ce qui touche à la question d’Orient, il y va de notre vie ou de notre mort : Constantinople doit être à nous tôt ou tard, quand ce ne serait que pour éviter des guerres religieuses. Ces guerres auraient une répercussion terrible en Russie. C’est à ce point de vue surtout qu’il convient de faire tous nos efforts pour agir efficacement dans le cas d’une désagrégation de l’Empire turc.

Cette grave question d’Orient recèle tout notre futur : Ou nous nous heurterons à l’Europe et le choc peut nous être fatal — ou nous arriverons à une union définitive avec elle. Quelle que soit la fin des négociations diplomatiques, Constantinople doit être à nous tôt ou tard, ne fût-ce qu’au siècle prochain. Voilà tout ce que j’entends affirmer, mais je crois que la question est d’une gravité européenne.