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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

Messager de l’Europe et du Nouveau Temps, pour d’effroyables révélations capable de bouleverser le monde. Si l’on voulait écrire sérieusement l’histoire de cette race, on trouverait par milliers des faits semblables à ceux que racontent ces deux journaux. Ce qui est à remarquer, c’est que si, au moment d’une polémique vous avez besoin d’un renseignement sur le juif, il est bien inutile d’aller fouiller les bibliothèques. Ne bougez pas de votre siège, prenez le journal posé près de vous et, à la seconde ou troisième page, immanquablement, vous trouverez une petite histoire juive : inutile de dire qu’il s’agira toujours de hauts faits du genre de ceux qui viennent d’être rapportés. — Naturellement, on va me répondre que les journalistes sont aveuglés par la haine et qu’ils mentent. Mais alors, si tous mentent par haine « elle doit signifier quelque chose, cette haine universelle », comme s’écria jadis Bielinsky.

Vous demandez à ce que le juif puisse choisir librement sa résidence. Mais le Russe autochtone est-il si libre à ce sujet ! Il y a là-dessus des règlements qui datent de l’époque du servage. Quant aux juifs, il est certain que leur champ d’action s’est bien élargi depuis vingt ans, car on les rencontre aujourd’hui où on ne les avait jamais vus autrefois. Et les juifs se plaignent toujours d’être victimes de la haine et de l’oppression. Je ne connais pas tous les détails, de la vie juive, mais il y a une chose que je puis affirmer : notre peuple n’a pas de haine de parti pris contre les juifs. Si vous entendez dans la rue des gamins ou des ivrognes dire : « Judas a vendu le Christ », la masse du peuple ne hait pas le juif vilainement et injustement. Il y a cinquante ans que je connais le peuple. J’ai même vécu avec lui dans les grandes casernes où il loge, j’ai dormi à côté de lui, sur les mêmes planches. Il y avait parmi nous des juifs, et personne ne les écartait. Quand ils étaient en prière (et quand les juifs prient ils revêtent un costume spécial, poussent des cris, etc.), on ne les dérangeait pas, on ne se moquait pas d’eux. On disait : leur religion leur ordonne de prier ainsi ; et on