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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

bon de l’argent ! À quoi bon vendre nos charrues ! Allons nous-mêmes faire la guerre ! »

Ici, à Pétersbourg, on a souscrit de fortes sommes pour les blessés et les malades. Les donateurs s’inscrivent comme anonymes. Ces faits sont très nombreux, mais ils se produiraient par dizaine de mille que personne n’en serait surpris. Ils montrent seulement que tout le peuple s’est levé au nom de la justice et pour la cause sainte, qu’il s’est levé pour la guerre et veut marcher. Les « sages » nieront peut-être ces faits comme ils ont nié ceux de l’année dernière : certains d’entre eux se moqueront peut-être. Mais que signifient leurs railleries ? De quoi rient-ils  ? Ah ! voilà ! Ils se regardent comme une force, comme une élite sans le consentement de laquelle on ne fait rien. Cependant leur force ne durera guère. Quand ils se verront débordés ils tiendront un autre langage. En tout cas, tous les vœux seront pour le Tzar et pour son peuple.

Nous avons besoin de cette guerre tout autant que « nos frères slaves. » torturés par les Turcs. Nous nous levons pour aller au secours de nos frères, mais nous agissons aussi pour notre propre salut. La guerre va purifier l’air que nous respirons et dans lequel nous étouffons. Les sages crient que nous étouffons de nos désordres intérieurs, que nous ne devons pas désirer la guerre, mais bien une paix durable afin de « cesser d’être des animaux et de devenir des hommes » afin de nous habituer à l’ordre, à l’honnêteté, à l’honneur. Quand nous en serons la, disent-ils, nous pourrons aller aider nos « frères slaves » Comment se représentent-ils donc le procédé à l’aide duquel ils deviendront, meilleurs ? Comment se défendront-ils d’être en désaccord avec le sentiment de tout le pays ? Quoi qu’il en soit, ils croient toujours à leur force. « Ils vont faire une promenade militaire ! » disent-ils maintenant en parlant de nos soldats. Il n’y aura pas de guerre. Tout au plus des « manœuvres de campagne » qui coûteront plus cher, des centaines de millions de plus que les « grandes manœuvres » ordinaires. Ah ! s’il pouvait arriver que nous soyons battus, qu’il nous fallut bien accepter la paix dans des conditions dés-