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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

avec de la patience, en conseillant, en suggérant, ils veulent l’obtenir à coups de verges. Ces verges ne corrigent même plus : elles dégradent moralement le délinquant. Un enfant rusé, devenu hypocrite, se soumettra en apparence, vous trompera pour éviter la fustigation. Vous hébéterez un enfant faible et peureux. Si vous avez affaire bon et franc, de cœur loyal, vous l’aigrirez, vous détruirez toutes les bonnes qualités qui étaient en lui, vous perdrez son cœur. Il est parfois très difficile à un enfant d’arracher de son cœur l’amour qu’il porte aux siens, mais quand le malheur est arrivé, l’enfant devient cynique, révolté, son esprit se fausse à jamais. Vous lui donnez un exemple funeste en vous montrant injuste, en lui disant par exemple : « Ne fais pas le bien à ta guise, fais plutôt le mal si je te l’ordonne ! » On en vient à punir un enfant d’une bonne action ; on le frappe parce qu’il a apporté à manger à sa sœur affamée. Comment voulez-vous qu’il ne s’aigrisse pas, que ses idées ne se faussent pas ? Sans être méchant ni haineux, vous avez puni vos enfants de votre propre négligence envers eux. Ils ont dormi dans une petite pièce malpropre, sur la première litière venue ; ils n’ont pas mangé à votre table, mais bien avec les domestiques. Vous avez pensez que grâce à votre système ils corrigeraient. Si telle n’avait pas été votre croyance, il faudrait admettre que vous avez agi par aversion contre eux, pour leur faire du mal ! Le tribunal n’a pas voulu en juger ainsi et a attribué votre conduite à une conception erronée de l’éducation. À présent, c’est vous qui vous chargez de vos enfants, ce sera une tâche plus difficile que ne croit votre femme.

Comme vos enfants ne sont plus présent dans cette salle, je puis dire un mot de ce qu’il y a d’essentiel dans l’œuvre ardue que vous avez à accomplir. Avant tout, il faudra vous pardonnez beaucoup de choses de côté et d’autre. Les enfants devront oublier les cruelles impressions que vous leur avez fait connaître. Vous devrez leur pardonner votre égoïsme, votre négligence envers eux, votre brutalité, et ce fait enfin que l’on vous a jugés ici à cause d’eux. Je le dis parce que ce n’est pas vous que vous accuserez en sortant d’ici, mais bien eux. Eh bien,