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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

— Je les mettrai, dit-il, à la Banque ; je les escompterai, et voici, mon très cher ami, des contre-lettres de change pour six mille roubles.

Inutile de réfléchir. Le gentleman signe les lettres de change. Il continue à rencontrer souvent au cercle Ivan Petrovitch. Tous deux en gens « comme il faut » ont oublié les lettres de change ; mais au bout de six mois les six mille roubles sont réclamés au gentleman. C’est alors qu’il a recours aux gens comme Zanftleben et qu’il fait des billets à cent pour cent.

Croyez bien qu’en ces suppositions je ne prétends aucunement raconter la vie du général Hartung que je n’ai jamais connu, mais je prétends qu’au personnage que j’esquisse, il pourrait arriver exactement tout ce qui est arrivé au général Hartung, tout, jusqu’au suicide inclusivement. Voilà pourquoi il me paraît, que dans cette affaire, il n’y a rien à reprocher au tribunal. La faute en est à la fatalité ; c’est une tragédie. Jusqu’au dernier moment, le général se considéra comme innocent et laissa la fameuse lettre !

Mais, me dira-t-on, comment admettre qu’un croyant puisse mentir dans un pareil moment ? Il est certain qu’il n’a rien volé. Vous ne voulez pas qu’il ait été assez inconscient pour ignorer s’il avait volé ou non. Le vol est une action matérielle, une action qui s’accomplit avec les mains. C’est tout simplement cette question : A-t-il rempli sa poche, oui ou on ? Il doit bien savoir s’il ne l’a pas remplie.

— Parfaitement juste. Mais voici ce qui peut être arrivé, ce qui est sûrement arrivé. Il n’a parlé que de lui-même quand il a écrit : « Je n’ai pas volé, je n’ai pas pensé à voler. » Les autres ont pu voler !

— C’est impossible. S’il avait permis aux autres de filouter et s’était tu, il aurait été un filou comme les autres. Le général Hartung ne pouvait pas ne pas comprendre que c’était la même chose.

Je répondrai : d’abord on peut douter qu’il ait connu le vol ; ensuite il est possible que le général Hartung veuille dire : « Moi je n’ai rien pris et les autres ont volé contre ma volonté. Je suis un homme faible, mais je ne