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JOURNAL D’UN ÉCRIVAIN

intérêt. » C’est alors que commencèrent les rêves bizarres de Nékrassov. Qui sait si ce vers :

Et j’ai un million dans ma poche,

il ne le composa pas dans la rue, en arrivant à Pétersbourg.

Il ne voulait ne dépendre de personne. J’avoue que ce souci n’était peut-être pas digne de l’âme de Nékrassov, cette âme qui se trouva si facilement un écho en elle pour tout ce qui était beau et saint. Il semble que des hommes comme lui devraient pouvoir se mettre en route pieds nus et mains vides, riches seulement de ce qu’ils portent dans leurs cœurs. Leur idéal ne aurait être l’or ! L’or c’est la brutalité, la violence, le despotisme ! L’or ne devrait être un idéal que pour la foule des faibles, des timides, que Nékrassov lui-même a tant méprisée. Qu’ont-il à faire de l’or, ceux qui chantent comme lui :

Mène-moi au camp de ceux qui périssent
Pour cette grande œuvre d’amour !

Mais le démon de la fierté resta en lui, et il paya sa faiblesse envers l’intrus de souffrances qui durèrent toute sa vie.

Je ne parlerai pas des bonnes œuvres de Nékrassov. Il n’en disait jamais un mot ; mais elles furent néanmoins. Bien des gens commencent à témoigner de l’humanité, de la bonté apitoyée de cette « âme pratique » .

M. Souvorine en a déjà cité quelques traits. On me dira que je veux trop facilement réhabiliter Nékrassov. Non, je ne le réhabilite pas : je cherche à expliquer et crois pouvoir le faire de façon concluante.