Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/200

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plupart du temps à l’écart sans ouvrir la bouche. Il n’avait pu se résoudre à amener sa sœur, mais Nastasia Philippovna ne parut même pas remarquer l’absence de Varia ; en revanche, aussitôt après avoir échangé avec Gania les compliments d’usage, elle fit allusion à la scène qui s’était passée tantôt entre lui et le prince. Le général, n’en ayant pas encore entendu parler, voulut la connaître. Alors Gania sèchement, discrètement, mais avec une entière franchise, raconta l’incident du matin et ajouta qu’il était allé demander pardon au prince. À cette occasion, il exprima en termes très-catégoriques son opinion, à savoir qu’on avait eu grand tort de faire au prince une réputation d’idiot, que, pour lui, il était d’un avis tout autre et le considérait, au contraire, comme un homme très-malin. Tandis que Gabriel Ardalionovitch émettait ce jugement, Nastasia Philippovna l’écoutait avec beaucoup d’attention et ne le quittait pas des yeux ; mais la conversation ne tarda pas à tomber sur Rogojine, qui avait pris une part si considérable à l’affaire de tantôt ; ce qu’on dit de lui intéressa vivement Afanase Ivanovitch et Ivan Fédorovitch ; Ptitzine était en mesure de fournir des renseignements particuliers sur Parfène Séménitch, attendu que celui-ci l’avait harcelé jusqu’à neuf heures du soir, insistant de toutes ses forces pour que l’usurier lui avançât aujourd’hui même cent mille roubles. « Il est vrai qu’il avait bu, — observa à ce propos Ptitzine, — mais, quoique cent mille roubles ne se trouvent pas dans le pas d’un cheval, je crois bien qu’on pourra les lui procurer ; seulement, je ne sais pas si ce sera aujourd’hui, et il devra peut-étre se contenter pour le moment d’une partie de la somme ; plusieurs se sont mis en campagne : Kinder, Trépaloff. Biskoup ; il consent à donner tel intérêt qu’on voudra ; bref, il parle comme un homme ivre et comme un héritier encore tout à la joie… » acheva le narrateur.

Toutes ces nouvelles, bien qu’avidement écoulées, n’étaient pas de nature à égayer les esprits. Nastasia Philippovna se taisait ; évidemment elle ne voulait pas dire ce qu’elle pensait ;