Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/298

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dit-elle, et elle se mit à me lire un monologue en vers dans lequel cet empereur abreuvé d’humiliations jurait de se venger du pape. « Est-il possible que cela ne te plaise pas, Parfène Séménitch ? — Tout ce que tu viens de lire est très-juste, répondis-je. — Ah ! tu trouves que c’est juste ; par conséquent, peut-être que toi-même tu te dis : Quand elle sera ma femme, je lui ferai payer tout ça ! — Je ne sais pas, repris-je, peut-être est-ce mon idée en effet. — Comment, tu ne sais pas ? — Non, je ne sais pas, ce n’est point à cela que je pense maintenant. — Et à quoi penses-tu donc maintenant ? — Vois-tu, quand tu te lèves de ta place, quand tu passes à côté de moi, je te regarde et je te suis des yeux ; j’entends le froufrou de ta robe et mon cœur défaille dans ma poitrine ; tu quittes la chambre, je me rappelle toutes tes paroles avec l’intonation de chacune d’elles ; durant toute cette nuit je n’ai pensé à rien, je ne cessais d’écouter le bruit de ta respiration, j’ai remarqué que tu t’es remuée deux fois en dormant… — Mais les coups que tu m’as donnés, ricana-t-elle, tu n’y penses pas, tu les as oubliés ? — Peut-être bien que je n’y pense pas, je n’en sais rien. — Et si je ne te pardonne pas, si je refuse de t’épouser ? — Je te l’ai dit, je me noierai. — Tu me tueras peut-être auparavant. » En prononçant ces mots, elle devint songeuse. Ensuite elle se fâcha et sortit. Une heure après, je la vis reparaître, elle était fort sombre. « Parfène Séménovitch, me dit-elle, je t’épouserai, non que j’aie peur de toi, mais parce qu’il m’est égal de me perdre. D’ailleurs, autant cela qu’autre chose ! Assieds-toi, on va te servir à dîner. Et quand je t’aurai épousé, je te serai fidèle, n’en doute pas. » Elle s’arrêta un instant, puis reprit : « Après tout, tu n’es pas un laquais, comme je l’avais cru jusqu’à présent. » Elle fixa alors le jour de notre mariage, et, la semaine suivante, elle me planta là pour venir ici demander un asile à Lébédeff. Quand je la retrouvai à Pétersbourg, elle me dit : « Je ne renonce pas absolument à t’épouser, je veux seulement attendre autant