Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/354

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jeune homme, semblait très-inquiet : Ivan Fédorovitch parlait avec une sorte d’agitation. Aglaé seule resta impassible : elle se borna à regarder un instant Eugène Pavlovitch, curieuse seulement de voir s’il était mieux en civil qu’en militaire, puis elle détourna la tête et ne fit plus attention à lui. Élisabeth Prokofievna s’abstint aussi de toute question, quoique peut-être elle ne fût pas non plus exempte d’une certaine inquiétude. Le prince crut s’apercevoir qu’Eugène Pavlovitch n’était pas dans les bonnes grâces de la générale.

— Il m’a étonné, renversé ! répétait Ivan Fédorovitch en réponse à toutes les questions. — Je ne voulais pas le croire, quand je l’ai rencontré tantôt à Pétersbourg. Et pourquoi si brusquement, voilà le problème ? Il est lui-même le premier à crier qu’il ne faut pas casser les vitres.

Comme Eugène Pavlovitch le rappela à la société, il avait depuis longtemps annoncé l’intention de quitter le service ; mais, chaque fois qu’il manifestait ce dessein, c’était en ayant l’air de badiner, si bien qu’il n’y avait pas moyen de prendre ses paroles au sérieux. Du reste, il parlait toujours des choses sérieuses sur le ton de la plaisanterie, en sorte qu’avec lui on ne savait jamais à quoi s’en tenir, surtout si lui-même voulait qu’il en fût ainsi.

— Je renonce au service temporairement, pour quelques mois, un an tout au plus, dit en riant Radomsky.

— Mais vous n’aviez aucun besoin de le quitter, autant du moins que je connais vos affaires, reprit le général toujours fort animé.

— Et visiter mes terres ? Vous-même me l’avez conseillé ; d’ailleurs, je veux aussi aller à l’étranger…

La conversation prit bientôt un autre cours, sans, toutefois, que l’agitation se calmât. Le prince, observateur attentif de tout ce qui se passait autour de lui, trouvait fort étrange l’émoi provoqué par une circonstance si insignifiante. « Pour sûr, il doit y avoir quelque chose là-dessous », pensait-il.

— Ainsi le « chevalier pauvre » est encore sur le ta-