Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/112

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— La semaine passée, la nuit ? Mais, réellement, n’as-tu pas perdu l’esprit, mon garçon ?

Silencieux, Hippolyte porta l’index à son front et parut réfléchir pendant une minute, mais, tout à coup, le pâle et craintif sourire qui tordait ses lèvres prit une expression de malice, de triomphe même.

— C’était vous ! répéta-t-il enfin presque tout bas, mais du ton le plus convaincu : — vous êtes venu chez moi et vous vous êtes assis, sans rien dire, sur une chaise, près de la fenêtre ; vous êtes resté là une heure et plus, votre visite a eu lieu vers minuit ou une heure et il était plus de deux heures quand vous êtes parti… C’était vous, vous ! Pourquoi vous m’avez fait peur, pourquoi vous êtes venu me tourmenter, ― je ne le comprends pas, mais c’était vous !

Et une haine immense étincela soudain dans son regard, quoiqu’il continuât à trembler de frayeur.

— Vous allez savoir tout cela à l’instant, messieurs, je… je… écoutez.

Il saisit précipitamment son manuscrit, les feuillets ne se suivaient pas, il entreprit de les mettre en ordre, mais ce fut à grand’peine qu’il y parvint, tant ses mains tremblaient.

— Il est fou ou il a le délire ! fit Rogojine entre haut et bas.

À la fin, la lecture commença, embarrassée et peu intelligible pendant les cinq premières minutes, par suite de l’émotion qui serrait la gorge du lecteur, puis nette et distincte, lorsque la voix de celui-ci se fut affermie. Parfois seulement, une toux assez forte interrompait Hippolyte ; il était très-enroué quand il arriva au milieu de son article ; à mesure qu’il avançait dans sa lecture, il s’animait davantage, et les auditeurs éprouvaient une impression de plus en plus maladive. Voici cet « article » :


MON EXPLICATION NÉCESSAIRE.

« Après moi le déluge ! »

« Hier matin, le prince est venu chez moi ; au cours de la conversation, il m’a proposé d’aller habiter sa villa. Je savais