Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/137

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je n’aurais pas accepté l’existence dans des conditions si dérisoires. Mais j’ai encore la faculté de mourir, quoique, mes jours étant comptés, mon pouvoir soit fort mince et par suite, aussi ma révolte.

« Dernière explication : Si je meurs, ce n’est nullement parce que je n’ai pas la force de supporter ces trois semaines ; oh, je serais assez fort pour cela, et, si je voulais, je trouverais une consolation suffisante rien que dans le sentiment de l’injure qui m’est faite ; mais je ne suis pas un poëte français et je ne veux pas me consoler de la sorte. Enfin, il y a là quelque chose de séduisant : en limitant ma vie à trois semaines, la nature a tellement rétréci ma sphère d’action, que le suicide est peut-être le seul acte auquel ma volonté puisse encore présider d’un bout à l’autre. Eh bien, peut-être veux-je profiter de la dernière possibilité d’agir qui me reste ? Parfois une protestation n’est pas une petite affaire… »

VII

L’« Explication » était finie, Hippolyte s’arrêta…

Dans certains cas exceptionnels, un homme nerveux, irrité et mis hors de lui, en vient à un tel degré de franchise cynique qu’il n’a plus peur de rien et qu’il est prêt à faire n’importe quel scandale ; il se jettera sur les gens, ayant à part soi l’intention obscure mais ferme de se précipiter du haut d’un clocher une minute après et de mettre ainsi fin à tous les embarras qu’aura pu lui attirer sa folle conduite. L’épuisement des forces physiques est d’ordinaire le signe précurseur de cet état. Hippolyte en était arrivé là sous l’influence de la surexcitation anormale qui l’avait soutenu jusqu’alors. Par lui-même, ce garçon de dix-huit ans, épuisé par la maladie, semblait faible comme la feuille