Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/146

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

tenant m’y rendre et j’y resterai jusqu’à après-demain.

Là-dessus il se leva, en sorte qu’on pouvait se demander pourquoi il s’était assis tout à l’heure. Le prince crut remarquer aussi qu’Eugène Pavlovitch était mécontent et irrité : il y avait comme une expression de haine dans son regard, qui n’était plus du tout celui de tantôt.

— À propos, vous allez maintenant près du malade ?

— Oui… j’ai peur, répondit le prince.

— Soyez tranquille ; il vivra certainement six semaines et peut-être même qu’ici il recouvrera la santé. Mais ce que vous avez de mieux à faire, c’est de le mettre à la porte dès demain.

— En vérité, peut-être que moi aussi je l’ai poussé à cela… par mon silence ; il a pu croire que sa résolution de se tuer faisait doute aussi pour moi ? Qu’en pensez-vous, Eugène Pavlitch ?

— Laissez donc, vous êtes trop bon de vous inquiéter à ce sujet. J’ai entendu parler de choses pareilles, mais dans la réalité je n’ai jamais vu un homme se tirer un coup de pistolet exprès pour s’attirer des éloges, ou par dépit de n’en avoir pas obtenu. Surtout, je n’aurais pas cru qu’on pût manifester si franchement une telle faiblesse ! Mais, n’importe, congédiez-le dès demain.

— Vous croyez qu’il tentera encore de se tuer ?

— Non, maintenant il ne recommencera plus. Mais prenez garde à ces Lacenaires en herbe ! Je vous le répète, le crime est trop souvent le refuge de ces nullités avides, révoltées et impuissantes.

— Est-ce que c’est un Lacenaire ?

— Il en a l’étoffe, quoique peut-être la destinée lui ait assigné un autre rôle. Vous verrez si ce monsieur n’est pas capable d’escoffier dix personnes, ne fût-ce que par « plaisanterie », suivant l’expression dont lui-même s’est servi tantôt. Ces mots de sa confession vont maintenant m’empêcher de dormir.

— Peut-être vous inquiétez-vous outre mesure.