Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/159

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— Comment ! cria Aglaé dont la lèvre inférieure commença soudain à trembler : — vous aviez peur que je… vous osiez penser que je… Seigneur ! Vous avez peut-être supposé qu’en vous invitant à venir ici je voulais vous tendre un piège ; vous me soupçonniez, n’est-ce pas ? de m’être arrangée pour qu’on nous surprit ici et qu’ensuite on vous forçât à m’épouser…

— Aglaé Ivanovna ! Comment n’êtes-vous pas honteuse ? Comment une pensée si ignoble a-t-elle pu germer dans votre cœur pur et innocent ? Vous-même, je le parie, ne croyez pas un mot de ce que vous venez de dire et… vous ne vous rendez aucun compte de vos paroles !

Aglaé restait les yeux baissés, comme effrayée elle-même du langage qu’elle avait tenu.

— Je ne suis pas du tout honteuse, murmura-t-elle, — d’où savez-vous que mon cœur est innocent ? Comment alors avez-vous osé m’écrire une lettre d’amour ?

— Une lettre d’amour ? Ma lettre, une lettre d’amour ! Elle était on ne peut plus respectueuse, elle a jailli de mon cœur dans le moment le plus pénible de ma vie ! J’ai pensé alors à vous comme à une lumière… je…

— Allons, bien, bien, interrompit brusquement la jeune fille, mais son ton n’était plus celui de tout à l’heure, il indiquait au contraire un profond repentir et une sorte de frayeur ; elle se pencha même vers le prince en tâchant toujours de ne pas fixer ses yeux sur lui, et voulut lui toucher l’épaule, pour le prier plus instamment de ne pas se fâcher ; — bien, ajouta-t-elle toute confuse ; — je sens que je me suis servie d’une expression fort bête. C’était pour… pour vous éprouver. Prenez que je n’ai rien dit. Si je vous ai offensé, pardonnez-moi. Ne me regardez pas, je vous prie, en plein visage ; détournez-vous. Vous avez dit que c’était une pensée ignoble : j’ai fait exprès de la dire, pour vous blesser. Parfois j’ai peur moi-même de ce que j’ai envie de dire, et tout d’un coup je le dis. Vous avez, dites-vous, écrit cette lettre dans le moment le plus pénible de votre vie. Je sais à quel moment vous faites allusion.