Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/175

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avez fait insérer dans les journaux une annonce comme quoi vous prêtez sur des objets d’or et d’argent ?

— Par l’entremise d’un homme d’affaires ; l’annonce ne fait pas mention de mon nom. Ayant un petit capital de rien du tout et désireux d’accroître les ressources de ma famille… convenez vous-même qu’un intérêt honnête…

— Eh bien, oui, eh bien, oui ; c’était seulement pour savoir ; pardonnez-moi de vous avoir interrompu.

— Mon homme d’affaires me fit faux bond. Sur ces entrefaites, on amena le malheureux ; j’étais déjà passablement lancé, je venais de dîner ; arrivèrent ces visiteurs, on but… du thé, et… pour mon malheur, je me donnai une pointe. Plus tard, quand ce Keller vint nous dire que vous vouliez fêter votre jour de naissance et offrir du Champagne, alors, cher et très-estimé prince, moi qui ai le cœur (ce que probablement vous avez déjà remarqué, car je le mérite), moi qui ai le cœur, je ne dirai pas sensible, mais reconnaissant, ce dont je m’enorgueillis, — je pensai que dans une circonstance si solennelle je ne pouvais décemment garder ma vieille pelure, et que, pour vous offrir mes félicitations personnelles, il était plus convenable de remettre mon uniforme dont je m’étais dépouillé en rentrant chez moi. C’est ce que j’ai fait, comme vous vous en êtes sans doute aperçu, prince, car vous m’avez vu en uniforme pendant toute la soirée. En changeant de vêtement, j’ai oublié mon portefeuille dans la poche de ma redingote… Vraiment, quand Dieu veut punir, il commence par troubler la raison. Et c’est seulement ce matin à sept heures et demie qu’en m’éveillant, j’ai été pris d’une inquiétude ; je saute comme un fou en bas démon lit, je saisis ma redingote, — la poche est vide ! Pas ombre de portefeuille !

— Ah ! c’est désagréable !

— Désagréable, on ne peut pas mieux dire ; vous avez tout de suite trouvé avec un vrai tact le mot propre, observa malicieusement Lébédeff.

Cette communication avait mis le prince en émoi.