Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/212

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reur, je vais à l’instant même quitter votre maison. Choisissez, monsieur, choisissez tout de suite : ou moi, ou ce… cette vis ! Oui, vis ! J’ai dit le mot sans y penser, mais c’est une vis ! Car il me perce l’âme comme une vis, et sans aucun respect… comme une vis !

— Tire-bouchon ne serait-il pas plus juste ? demanda Hippolyte.

— Non, pas tire-bouchon, car vis-à-vis de toi je suis un général, et non une bouteille. Je possède des distinctions, des distinctions honorifiques… et toi, tu n’en as aucune. Ou lui, ou moi ! Choisissez, monsieur, tout de suite, à l’instant ! ajouta-t-il d’un ton furieux en s’adressant de nouveau à Ptitzine.

Kolia avança à son père une chaise sur laquelle le général se laissa tomber comme vaincu par la fatigue.

— Vraiment, vous feriez mieux… de vous coucher, balbutia Ptitzine abasourdi.

— Il se permet de menacer, qui plus est ! dit à demi-voix Gania à sa sœur.

— Me coucher ! cria Ardalion Alexandrovitch : — je ne suis pas ivre, monsieur, et vous m’insultez. Je vois, continua-t-il en se levant, — je vois qu’ici tout est contre moi, tout et tous. Assez ! Je m’en vais… Mais sachez, monsieur, sachez…

On ne le laissa pas achever et on le fit rasseoir en le suppliant de se calmer. Gania irrité se retira dans un coin. Nina Alexandrovna tremblait et pleurait.

— Mais qu’est-ce que je lui ai fait ? De quoi se plaint-il ? questionna en riant Hippolyte.

— Vous le demandez ? répliqua soudain Nina Alexandrovna ; — vous devriez être honteux… c’est de l’inhumanité de tourmenter ainsi un vieillard… et dans votre position encore…

— D’abord, que voulez-vous dire en parlant de ma position, madame ? Je vous respecte fort, vous en particulier, personnellement, mais…

— C’est une vis ! interrompit vivement le général : — il me