Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/223

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se révolter ; il avait des accès de colère qu’il se reprochait peut-être dans le moment même où il s’y abandonnait, mais qu’il ne pouvait maîtriser ; il cherchait querelle à son entourage, commençait à faire de l’éloquence, exigeait pour sa personne un respect illimité, et, en fin de compte, disparaissait de la maison où parfois il ne remettait pas les pieds de longtemps. Il avait renoncé depuis deux ans à toute intervention dans les affaires de sa famille, et il n’en connaissait que ce qu’il apprenait par ouï-dire.

Mais, cette fois, la « crise du général » ne ressemblait pas aux précédentes. On aurait dit que tout le monde savait quelque chose dont personne n’osait parler. Il y avait trois jours seulement qu’Ardalion Alexandrovitch était rentré dans le giron de la famille, mais, au lieu d’y reparaître avec l’humilité d’un coupable repentant, comme c’était son habitude invariable en pareil cas, il avait, au contraire, dès son retour à la maison, fait preuve d’une irritabilité étrange. Bavard, inquiet, il adressait vivement la parole à tous ceux qu’il rencontrait, et se jetait sur l’auditeur en quelque sorte comme sur une proie, mais ses conversations roulaient toujours sur des sujets si variés et si inattendus qu’il n’y avait pas moyen de découvrir la véritable cause de son inquiétude présente. Il avait des moments de gaieté, mais le plus souvent il était pensif, sans que, du reste, lui-même sût au juste à quoi il pensait ; tout d’un coup il se mettait à raconter quelque chose, — sur les Épantchine, sur le prince, sur Lébédeff, — et brusquement il cessait de parler, avant d’être arrivé à la fin de son récit ; lorsqu’on l’interrogeait pour connaître la suite de l’histoire, il ne répondait que par un sourire hébété ; d’ailleurs il ne remarquait même pas les questions qui lui étaient adressées. Durant la dernière nuit, il ne fit que soupirer et gémir, ce qui inquiéta fort Nina Alexandrovna ; croyant son mari indisposé, elle passa toute la nuit à lui faire chauffer des cataplasmes. Vers l’aurore, le général s’endormit ; quatre heures après, il s’éveilla en proie à un violent accès d’hypocondrie qui aboutit à la que-