Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/254

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— Quoi ?… Et qu’est-ce que vous avez à toujours parler du roi de Rome ?… Eh bien ?

— Je… je… reprit à voix basse le général en se cramponnant de plus en plus fort à l’épaule de son fils, — je… veux… je te… tout, Marie, Marie… Pétrovna Sou-sou-sou…

Kolia se dégagea, saisit lui-même son père par les épaules, et le regarda d’un air affolé. Le vieillard était pourpre, ses lèvres se violaçaient, de légères convulsions crispaient son visage. Tout à coup il se pencha et commença à s’affaisser doucement sur le bras de Kolia.

Celui-ci comprit enfin ce qu’il en était.

— Il a une attaque d’apoplexie ! cria-t-il d’une voix qui retentit dans toute la rue.

V

Les renseignements recueillis par Barbara Ardalionovna concernant le futur mariage du prince avec Aglaé Épantchine étaient un peu moins précis qu’elle ne l’avait dit à son frère. Peut-être, en femme perspicace qu’elle était, avait-elle deviné ce qui devait arriver dans un avenir prochain ; peut-être, désolée de l’évanouissement d’un rêve, auquel, du reste, elle-même n’avait jamais cru, s’était-elle plu, par un sentiment bien humain, à exagérer ce malheur pour ajouter encore au chagrin d’un frère d’ailleurs sincèrement aimé. En tout cas, elle ne pouvait avoir appris des nouvelles si positives en causant avec les demoiselles Épantchine : des allusions, des demi-mots, des paroles et des silences également énigmatiques, voilà tout ce qui avait été offert en pâture à la curiosité de la visiteuse. Mais peut-être aussi que les sœurs d’Aglaé avaient aventuré quelque propos exprès pour faire parler Barbara Ardalionovna, ou, enfin, qu’elles n’avaient pas voulu se refuser la satisfaction féminine de