Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/257

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cassait le plus Élisabeth Prokofievna, c’étaient ces objections qu’elle trouvait au fond d’elle-même.

La perspective d’avoir le prince pour beau-frère ne déplaisait pas aux sœurs d’Aglaé ; ce projet de mariage ne leur paraissait même pas trop étrange, et, pour un peu, elles l’auraient appuyé, mais les deux jeunes filles avaient résolu de se taire. On savait par expérience dans la famille que plus Élisabeth Prokofievna se montrait hostile à une idée, plus il y avait lieu de supposer qu’au fond elle était déjà acquise à cette idée. Du reste, Alexandra Ivanovna fut bientôt mise en demeure de rompre le silence. Sa mère, qui depuis longtemps avait pris l’habitude de la consulter, l’appelait sans cesse à présent pour lui demander le secours de ses lumières et surtout pour interroger ses souvenirs par des questions de ce genre : « Comment donc tout cela était-il arrivé ? Comment personne ne l’avait-il su ? Pourquoi alors n’avait-on rien dit ? Que signifiait ce vilain « chevalier pauvre » ? Pourquoi elle seule, Élisabeth Prokofievna, avait-elle la charge de toutes les préoccupations, de tous les soucis domestiques, tandis que les autres ne faisaient que bayer aux corneilles ? » etc., etc. Alexandra Ivanovna se tint d’abord sur la réserve et se borna à dire qu’elle pensait, comme son père, que le mariage du prince Muichkine avec une des demoiselles Épantchine ne laisserait rien à désirer au point de vue des convenances mondaines. Peu à peu la jeune fille s’échauffa, elle en vint même à soutenir que le prince n’était nullement un imbécile et ne l’avait jamais été : quant à ce fait qu’il n’avait pas de situation officielle, c’était encore une question de savoir si, d’ici à quelques années, chez nous en Russie, l’importance d’un homme ne se mesurerait pas sur autre chose que sur sa position dans le service. À quoi la maman répondit aussitôt en traitant Alexandra de « libre penseuse » et en fulminant de nouveaux anathèmes contre cette « maudite question des femmes », cause de tout le mal. Une demi-heure après, elle se rendit à la ville et de là à Kamennii Ostroff pour y voir la princesse Biélokonsky, qui