Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/259

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dès qu’elle eut appris ce qui s’était passé en son absence. (On se rappelle que le prince était allé chez les Épantchine à minuit, croyant qu’il était neuf heures ; ce fut le lendemain de cette étrange visite qu’Élisabeth Prokofievna se rendit à Kamennii Ostroff.) Les sœurs d’Aglaé répondirent d’une façon très-détaillée aux questions impatientes de leur maman : « Il n’est rien arrivé du tout, le prince est venu, Aglaé a fait longtemps désirer sa présence et ne s’est montrée qu’au bout d’une demi-heure ; sa première parole en entrant a été pour proposer au prince de jouer aux échecs ; il n’entend rien à ce jeu et Aglaé l’a battu tout de suite, ce dont elle a été fort contente ; elle a fait honte au prince de son ignorance et s’est tellement moquée de lui qu’il faisait peine à voir. Ensuite elle lui a proposé de jouer aux cartes, aux douraki ; mais alors les choses ont pris une autre tournure : aux douraki le prince s’est révélé de première force, il a joué comme… comme un maître. C’est en vain qu’Aglaé s’est mise à tricher effrontément, cela ne l’a pas empêchée de perdre coup sur coup toutes les parties, — cinq de suite. Furieuse au point de ne plus se connaître, elle a décoché au prince une foule de mots si désagréables et si blessants qu’il a cessé de rire ; il est devenu tout pâle lorsque finalement elle lui a dit : « Je ne mettrai plus le pied dans cette chambre aussi longtemps que vous y serez ; c’est même de l’impudence de votre part que de venir chez nous, et à minuit encore, après tout ce qui est arrivé. » Là-dessus, elle est sortie en fermant violemment la porte sur elle. Le prince est parti avec une figure d’enterrement, malgré tous nos efforts pour le consoler. Il nous avait quittées depuis un quart d’heure quand Aglaé est accourue sur la terrasse et cela si précipitamment qu’elle n’avait pas même pris le temps d’essuyer ses yeux où l’on voyait encore des traces de larmes ; elle se hâtait ainsi parce que Kolia était arrivé porteur d’un hérisson. Nous nous mîmes toutes à examiner l’animal. En réponse à nos questions, Kolia nous apprit que le hérisson n’était pas à lui, et qu’il avait laissé dans la rue un de ses camarades, un