Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/263

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composait, ce soir-là, que des membres de la famille. Le prince Chtch… était encore à Pétersbourg, où il avait à s’occuper de certaines affaires par suite du décès de Kapiton Alexiévitch (l’oncle d’Eugène Pavlovitch). « Que n’est-il ici ! il dirait quelque chose », pensait tristement Élisabeth Prokofievna. Ivan Fédorovitch paraissait extrêmement soucieux ; Alexandra et Adélaïde étaient sérieuses, on aurait dit qu’elles gardaient exprès le silence. La maîtresse de la maison ne savait de quoi parler. À la fin, elle fit de but en blanc une charge à fond contre les chemins de fer, et regarda le visiteur d’un air de défi.

Hélas ! l’absence d’Aglaé enlevait au prince tous ses moyens et il avait presque perdu la tête. D’une voix mal assurée il commença une phrase sur l’utilité des chemins de fer, mais Adélaïde s’étant soudain mise à rire, il se troubla de nouveau. Dans ce même instant, Aglaé entra calme et grave ; après avoir cérémonieusement rendu au visiteur le salut qu’elle avait reçu de lui, elle alla s’asseoir non sans solennité à la place la plus en vue près de la table ronde, puis elle fixa sur le prince un regard interrogateur. Chacun comprit qu’une explication décisive était imminente.

— Vous avez reçu mon hérisson ? demanda-t-elle d’un ton ferme et presque irrité.

Le prince se sentit défaillir.

— Oui, répondit-il en rougissant.

— Dites tout de suite ce que vous pensez de cela. C’est nécessaire pour la tranquillité de maman et de toute notre famille.

— Écoute un peu, Aglaé… fit brusquement le général pris d’inquiétude.

— Cela, cela passe toutes les bornes ! s’écria dans son saisissement Élisabeth Prokofievna.

— Que parlez-vous de bornes, maman ? Il ne s’agit pas de cela ! répliqua vivement la jeune fille. — J’ai envoyé aujourd’hui un hérisson au prince et je désire connaître sa pensée. Eh bien, prince ?