Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/271

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

propres, quelques observations faites par lui ; tout cela aurait même été ridicule, si ce n’avait pas été « si bien dit » ; telle fut, du moins, l’opinion émise après la soirée par tous les auditeurs. Le général aimait les conversations sérieuses, pourtant lui et sa femme trouvaient dans leur for intérieur que c’était trop savant ; aussi, vers la fin, devinrent-ils moroses. Mais, avant de prendre congé, le visiteur raconta plusieurs anecdotes très-comiques, et cela en riant lui-même de si bon cœur que les autres rirent aussi, — moins de ses anecdotes que de sa gaieté. Quant à Aglaé, à peine prononça-t-elle un mot de toute la soirée ; en revanche elle prêtait une attention soutenue aux paroles de Léon Nikolaïévitch, ou, pour mieux dire, elle l’observait plus encore qu’elle ne l’écoutait.

— Elle le regarde tout le temps, elle ne le quitte pas des yeux, dit ensuite Élisabeth Prokofievna à son mari, — tant qu’il parle, elle reste suspendue à ses lèvres, elle recueille le moindre mot qui sort de sa bouche, et si on lui dit qu’elle l’aime, la voilà furieuse !

— Que faire ? La destinée ! répondit avec un haussement d’épaules Ivan Fédorovitch, et longtemps encore il répéta ce petit mot qu’il affectionnait. Ajoutons qu’en sa qualité d’homme positif, le général trouvait aussi beaucoup à redire au présent état des choses ; ce qui le contrariait surtout, c’était le vague de l’affaire, mais, pour le moment, il avait résolu de se taire et d’observer… Élisabeth Prokofievna.

À cette accalmie succédèrent bientôt de nouveaux orages. Dès le lendemain, Aglaé recommença à se quereller avec le prince, et il en fut de même tous les jours suivants. Durant des heures entières, le pauvre amoureux était en butte aux railleries de sa bien-aimée. Parfois, à la vérité, ils passaient une heure en tête-à-tête sous une charmille, dans le petit jardin attenant à la maison, mais on remarquait que, pendant ce temps-là, le prince faisait presque toujours quelque lecture à Aglaé.

— Savez-vous ? l’interrompit-elle un jour qu’il lui lisait le