Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/30

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Le prince commença à exposer ses raisons, mais Élisabeth Prokofievna l’interrompit.

— Tout le monde te considère comme un imbécile et te trompe ! Tu as été hier à Pétersbourg ; je parie que tu es allé te mettre à genoux devant ce drôle et que tu l’as supplié d’accepter tes dix mille roubles !

— Je n’y ai même pas pensé. Je ne l’ai pas vu, et, d’ailleurs, ce n’est pas un drôle. J’ai reçu une lettre de lui.

— Montre-la !

Le prince prit un pli dans son portefeuille et le tendit à Élisabeth Prokofievna. Voici ce que contenait cette lettre :

« Monsieur, aux yeux des gens je n’ai sans doute pas le moindre droit de nourrir de l’amour-propre. Dans l’opinion du monde, je suis trop insignifiant pour cela. Mais ce qui est vrai aux yeux des hommes ne l’est pas aux vôtres. Je me suis convaincu, monsieur, que vous valez peut-être mieux que les autres. Je ne suis pas d’accord avec Doktorenko et je me sépare de lui sur ce point. Jamais je n’accepterai de vous un kopek, mais vous êtes venu en aide à ma mère, et je vous en dois de la reconnaissance, quoique ce soit une faiblesse. En tout cas, j’ai changé d’opinion sur votre compte et je crois nécessaire de vous en informer. Mais ensuite j’estime qu’il ne peut plus y avoir entre nous de rapports d’aucune sorte. Antip Bourdovsky ».

« P. S. Les deux cents roubles que je vous dois encore vous seront sûrement remboursés avec le temps. »

— Quelle stupidité ! fit la générale en rendant la lettre d’un mouvement brusque : — ce n’était pas la peine de lire cela. Pourquoi souris-tu ?

— Avouez que cette lecture vous a fait plaisir.

— Comment ! la lecture de ce galimatias vaniteux ! Mais est-ce que tu ne vois pas qu’ils sont tous affolés d’orgueil et de vanité ?

— Si, mais en somme, il a reconnu ses torts, il a rompu avec Doktorenko, et même, plus il est vaniteux, plus cela a dû