Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/302

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je vous le demande, qu’importent mes paroles en ce moment, qu’importe ma personne au prix de tels intérêts… au prix de si énormes intérêts ! Et en comparaison d’un homme si magnanime, — car, en vérité, c’était un homme très-magnanime, n’est-ce pas ? N’est-il pas vrai ?

Le prince tremblait de tout son corps. Pourquoi était-il soudain affecté à ce point, alors que le sujet de la conversation ne semblait nullement de nature à provoquer chez lui un si violent accès de sensibilité ? — c’est ce qu’il serait difficile d’expliquer. Quoi qu’il en soit, il était excessivement ému ; en ce moment débordait de son cœur une reconnaissance ardente, attendrie, motivée par quelque chose et s’adressant à quelqu’un, — peut-être à Ivan Pétrovitch lui-même, sinon à tous les visiteurs, en général. Il se sentait « trop heureux ». Ivan Pétrovitch commença à l’examiner beaucoup plus attentivement ; le haut fonctionnaire l’observa aussi avec une curiosité extrême. La princesse Biélokonsky fixa un regard irrité sur Léon Nikolaïévitch, et serra les lèvres. Le prince N…., Eugène Pavlovitch, le prince Chtch…, les demoiselles, tous interrompirent leur conversation pour écouter. Aglaé paraissait effrayée et Élisabeth Prokofievna l’était positivement. Il faut avouer que ces dames, mère et filles, étaient étranges. Elles avaient jugé que la meilleure attitude à prendre pour le prince était de garder le silence pendant toute la soirée, et, dès qu’elles l’avaient vu seul dans un coin, complètement satisfait de son rôle muet, l’inquiétude s’était aussitôt emparée d’elles. Alexandra voulait même aller le chercher à travers le salon pour le mêler à leur société (elles se trouvaient en compagnie du prince N… et de la princesse Biélokonsky). Et maintenant que le prince s’était mis à parler, les dames Épantchine se sentaient plus inquiètes encore.

— Vous avez raison de dire que c’était un excellent homme, déclara avec conviction Ivan Pétrovitch qui avait cessé de sourire, — oui, oui… c’était un brave homme ! Brave et digne, ajouta-t-il au bout d’un instant. — Digne même, on