Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/312

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d’Aglaé et les regards étranges, fort étranges qu’elle fixait sur lui : il n’y avait pas la moindre haine, pas la moindre colère dans les yeux de la jeune fille ; elle le considérait d’un air effrayé, mais si sympathique, et ses prunelles lançaient de tels éclairs quand elle regardait les autres….. une douce souffrance pénétra tout à coup dans le cœur du prince. À la fin, il s’aperçut avec un singulier étonnement que tous avaient repris leurs places et même qu’ils riaient, comme si de rien n’était ! L’instant d’après, cette hilarité s’accrut encore : on riait en le regardant, on trouvait drôles son mutisme et sa mine ahurie, mais on riait gentiment, gaiement ; plusieurs lui adressaient la parole et de la façon la plus affable ; Élisabeth Prokofievna, notamment, lui parlait d’un air jovial et s’efforçait de le réconforter. Tout à coup il sentit qu’Ivan Fédorovitch lui frappait amicalement sur l’épaule ; Ivan Pétrovitch riait aussi ; mais plus bienveillant, plus cordial, plus affectueux encore se montra le haut fonctionnaire ; il prit la main du prince, la serra doucement dans la sienne et se mit à la tapoter ; en même temps il tenait au pauvre jeune homme les propos qu’on tient à un petit enfant dont on veut calmer la frayeur ; à la fin, il le fit asseoir tout près de lui. Heureux de se voir traité avec tant d’intérêt, le prince considérait béatement le visage du vieillard, mais il n’avait pas encore recouvré l’usage de la parole, il respirait avec peine ; la physionomie du haut fonctionnaire lui plaisait infiniment.

— Comment ? balbutia-t-il enfin : — c’est bien vrai que vous me pardonnez ? Et… vous aussi, Élisabeth Prokofievna ?

Les rires redoublèrent, des larmes vinrent aux yeux du prince ; son ravissement était tel qu’il se Croyait le jouet d’une illusion.

— Sans doute le vase était beau, observa Ivan Pétrovitch ; — il était ici depuis quinze ans, si je me souviens bien… oui, depuis quinze ans…

— Eh bien, voilà un fameux malheur ! L’homme lui-même n’est pas éternel, et on se désolerait pour la perte d’un pot